CINÉMA - Musique de cinéma

CINÉMA - Musique de cinéma
CINÉMA - Musique de cinéma

À l’origine, le cinéma n’est rien de plus qu’une invention montrant la réalité – ou du moins une partie de la réalité – en mouvement.

Structure ouverte, il concentre les diverses dimensions de la perception. Du fait même qu’il concrétise une multitude d’étonnements en un seul spectacle, il en rend moins évidents les constituants spécifiques.

Dès lors, la musique incluse dans les films n’est pas saisie en tant que telle, ni même en tant qu’élément constitutif. Elle est plus simplement un «no man’s land» dans lequel le spectateur s’installe. Le sujet, les interprètes, les réalisateurs, la couleur, le noir et blanc, le montage sont autant de traces isolables, repérables. La musique, elle, précède le film, l’accompagne, lui succède et, au bout du compte, sort à la fois intacte et interchangeable d’une alchimie incontrôlable.

Les origines

Aux débuts du cinématographe, la musique reste en dehors de la salle. Fanfares constituées, bateleurs ou hommes-orchestres s’efforcent seulement d’attirer les badauds.

Puis elle entre à son tour dans la salle, où elle est improvisée devant l’écran. Selon les genres – burlesque, dramatique, historique ou documentaire –, l’instrumentiste choisit des tempos: d’abord, la ligne rythmique générale, celle qui prélude, impose l’image et le genre, une sorte de préambule en forme de dédicace. Rhapsodiant, répétitif ou alangui, le piano situe le contexte.

Disposés autour de l’écran, jamais contrapuntiques, mais liants d’un spectacle techniquement imparfait, les autres instruments ou le piano comblent un manque d’apparence du réel. Le pianiste dans sa salle ne doit pas faire œuvre de créateur, mais établir des équivalences. Si le forain ou le directeur de music-hall n’a pas d’artisan du clavier à son service, il peut toujours utiliser un phono grésillant. La sonorisation est née.

Puis vient très rapidement le temps où les instructions pour le «tapeur» sont glissées dans les boîtes de pellicule. Sur une liste, sont désignées les indications de tempo et consignés les multiples motifs à illustrer. Dans la Revue du cinéma no 1 de 1946, Pierre Schaeffer cite quelques titres qui figurent parmi les plus beaux fleurons de ces «tablatures» imposées: nuit et atmosphère sinistre; nuit, atmosphère menaçante; folie (agitato ); magie, apparition; péripéties.

La musique d’art

Alors que le cinématographe convie à une fête bon enfant, lieu de tous les pléonasmes musicaux, naît le «film d’art». Une aristocratie de la mise en scène apparaît et les musiciens se mettent à composer des partitions originales. En 1908, Camille Saint-Saëns écrit une musique pour L’Assassinat du duc de Guise de Charles Le Bargy et André Calmette. Ce sera la première intervention spécifique d’un grand compositeur pour le cinéma.

Erik Satie dans Entr’acte de René Clair en 1924, Florent Schmitt dans Salammbô en 1925, Henri Rabaud dans Le Miracle des loups de Raymond Bernard en 1921, George Antheil dans Le Ballet mécanique de Fernand Léger en 1924, Arthur Honegger dans La Roue d’Abel Gance en 1921, Darius Milhaud dans L’Inhumaine de Marcel L’Herbier en 1923 ont apporté, chacun d’une manière différente, leur contribution à l’essor de la musique de cinéma.

Puis c’est l’avènement du cinéma parlant. La fin des illusions de certains, l’espoir des autres. Hollywood, bien décidé à vaincre tous les scrupules vis-à-vis de la nouvelle invention, prête à la musique une attention définitive.

Nous sommes ici en plein malentendu: Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold, Miklos Rozsa, Franz Waxman, Dimitri Tiomkin ou Victor Young, considérés comme les maîtres du style musical hollywoodien, sont parfois jugés avec sévérité, voire méprisés.

Le soutien mélodique aux films des années 1930-1940 s’articule autour de l’idée du leitmotiv: une phrase musicale mémorisable, qui revient tout au long du film, accélère, anticipe le déroulement dramatique.

L’abus du leitmotiv, conscient ou non, dissimule une incapacité à rejoindre la ligne directrice du montage et du mixage. Le leitmotiv, omnipotent, entraîne une standardisation des émotions, tout le mécanisme de la nuance reposant sur la technique des arrangeurs.

Ce processus découle directement de la structure des services musicaux des grandes compagnies, où se côtoient des mélodistes superviseurs et des arrangeurs aux ordres, chargés du gros œuvre.

Chaque scénario est l’objet de deux sortes d’interventions musicales: celle qui soutient les dialogues, et celle qui accompagne les plans purement descriptifs. Toutefois, le style hollywoodien aura permis de perpétuer un genre en voie de disparition après les années vingt: la forme symphonique.

Max Steiner, Miklos Rozsa et d’autres ont indirectement pratiqué un art qui s’était éteint parce que confronté aux diverses mutations stylistiques musicales du début du siècle. La densité romanesque de cette musique pour le cinéma renvoie aux grands élans du siècle précédent.

L’accord parfait

Dans un tel contexte, il convient de mentionner tout d’abord la remarquable collaboration, en un certain sens prémonitoire, de S. M. Eisenstein et de Serge Prokofiev.

Pour Eisenstein, la musique n’est pas incidente. Elle n’est pas conçue comme une obscure complémentarité ou comme un artifice sans structure; elle est donc ainsi plus facilement adaptable à l’image.

L’insertion de la musique dans des films tels que Alexandre Newski et Ivan le Terrible relève du rôle spécifique qu’Eisenstein lui attribue. Assez souvent, il parle en termes de musique pour évoquer la structure interne des constituants du film.

La concordance parfaite entre la recherche théorique et la mise en pratique des idées implique dans l’expression finale une part d’impondérables librement consentis. La collaboration entre Eisenstein et Prokofiev vérifie le vieil adage selon lequel le travail de l’artiste se fonde sur autre chose que l’instant. Du moins, pour que cet instant soit fulgurant, faut-il admettre qu’il soit précédé de nombreuses recherches poussées à l’extrême de leur rigueur.

L’union sacrée Eisenstein-Prokofiev aura mis en évidence d’autres collaborations exemplaires, génératrices d’une originalité en rupture avec les habitudes fonctionnelles du temps. Ainsi, celle de Jean Vigo et de Maurice Jaubert qui, à l’écart de toute surcharge et de tout pléonasme, sait créer tout un art poétique pour dialoguer avec l’image. Dans L’Atalante , Jaubert montre, par quelques traits musicaux aussi dépouillés que populaires, toute la détresse et tout l’amour des personnages de Vigo.

Imaginer les films de Federico Fellini sans la musique de Nino Rota est difficile, car elle est le premier acteur et le premier spectateur du cirque Fellini. Le monde fellinien n’aime pas le son naturel, le son vrai; il a adopté depuis longtemps l’artificielle re-création de sa réalité par les dialogues et la musique. Sophistiqué, légèrement ironique, Nino Rota a su trouver les thèmes propres à ancrer le rêve éveillé, cauchemardesque et en couleurs de Fellini, dans un univers directement perceptible par le public.

Le cinéma de Michelangelo Antonioni est une œuvre qui s’offre à la tentation de l’aphasie. Il meuble l’image pour lutter contre un silence envahissant comme le sommeil. À ses yeux, la musique n’est qu’aménagement confortable d’une zone aride à l’intérieur de laquelle les protagonistes délivrent des bribes de questions avant de se hérisser devant la contemplation de l’objectif.

Comment pourrait donc collaborer Giovanni Fusco avec un cinéaste qui ne croit ni à l’utilité, ni à la créativité de la musique dans le film? Un saxophone, une guitare, un repérage folklorique ou un quatuor permettent de jalonner un propos à l’extérieur duquel il a accepté une bonne fois pour toutes de se situer.

Par sa musique, Bernard Herrmann aura donné à Alfred Hitchcock le contrepoint tragique indispensable. Le héros hitchcockien se détruit en voulant échapper à une situation absurde qui le contraint au silence de l’inexplicable. Fuite en avant, héritage morbide, malédiction psychanalytique illustrent une transposition sociale fictive de la solitude et de la désertion de soi-même. Pour Herrmann, il s’agit de restituer le négatif musical de cette démarche. D’où pour lui la nécessité de ne pas s’appuyer uniquement sur la sanction rythmique de l’image, mais au contraire de saisir la priorité donnée aux protagonistes. La musique rend directement perceptible ce que la fiction nous cache.

Mais il y a l’autre dimension de la musique à l’écran: les bruits. Michel Fano est sans doute l’un des auteurs-manipulateurs de son le plus original et le plus systématique. Avec Alain Robbe-Grillet puis avec François Bel et Gérard Vienne dans Le Territoire des autres et La Griffe et la dent , il s’est employé à doter le film d’un canevas sonore qui n’a pas seulement un rôle fonctionnel mais qui permet aussi une relecture de l’image. Fano décrypte le film. Dans l’agglomérat des cellules du film – image, plan, séquences (alternance et mélange) –, il puise son inspiration selon l’idée que chacun peut se faire du film qui chemine, souterrain. À l’écart des mélodies à répétition, des modes instrumentales et des alibis en tout genre, il refuse la classification. Son travail sur le son échappe au vocable «musique de». Il est préférable d’écrire: partition sonore, montage sonore, ou même «personnage sonore».

Les accords parfaits que constituent ces prestigieuses collaborations ne doivent tout de même pas faire oublier la condition précaire des rapports entre musique et cinéma. L’utilisation du répertoire classique, l’usage des musiques synthétiques destinées à donner l’illusion d’une réalité musicale sont les résultats d’une incohérence économique qu’il convient d’analyser.

Contraintes et ambiguïtés

Le compositeur et le cinéaste ne travaillent pas en phase. Ils cohabitent pourtant dans la même urgence d’une tâche commandée dont ils ne sont ni les uniques exécutants ni les uniques dépositaires.

Entre l’écriture du scénario, la recherche des fonds, la préparation, le tournage, la postproduction et la sortie d’un film, des mois, sinon des années, vont s’écouler. La tâche du compositeur, elle, s’exprime dans une durée minimale. Un laps de temps qui favorise les a-priori critiques et contribue à souligner l’impuissance des compositeurs vis-à-vis de la perception de leur travail mixé à l’image. Non contents de travailler vite, les compositeurs pour l’image doivent aussi compter avec les étranges méthodes économiques qui gèrent cette profession.

À l’inverse des pays anglo-saxons, la musique pour le film n’est pas considérée en France comme un poste de travail au moment de l’établissement du budget du film par le producteur. On investit pour avoir le meilleur scénario possible, les comédiens les plus éminents et la technique la plus accomplie, mais la production se refuse à prendre en compte les frais engagés par la musique.

Il convient de revenir au milieu des années trente pour expliquer cette situation. Le cinéma parlant s’était alors définitivement imposé. La musique devenait un ingrédient moins impersonnel qu’à l’époque du muet qui, entre l’improvisation à schéma immuable et le «petit» format de sonorisation, n’avait pas trouvé sa voie.

Sur le plan esthétique, les compositeurs héritaient des habitudes du cinéma muet, profitant ainsi de l’immobilisme artistique des producteurs, totalement occupés à favoriser l’expansion du cinéma. Par son utilisation intensive, la musique permettait de faire croire qu’il n’y avait pas eu de coupure réelle entre le muet et le parlant.

Sur le plan économique, l’enjeu était important. Au début du cinéma parlant, la musique était considérée comme un poste de travail, doté d’un budget. Toutefois, le mode de rétribution des compositeurs – à la durée – allait créer une autre industrie.

Historiquement, c’est la musique qui s’est séparée du cinéma, pensant qu’elle pourrait fructifier sans autre forme de procès. Les éditeurs viennent voir les producteurs. À chacun son métier. Ils prennent les frais de l’exécution musicale à leur charge, livrent une bande qu’il ne reste plus qu’à mixer avec le film.

Très tôt, en France, la rétribution du compositeur prit la forme d’une perception sur les droits. Ce furent d’abord des droits perçus en fonction de la durée musicale. Aujourd’hui, le compositeur est rétribué à partir d’un pourcentage prélevé sur les recettes-salles des films, pourcentage lui-même réparti entre l’éditeur de la musique et le compositeur.

Se pose donc la question du statut du musicien de cinéma, qui reste très aléatoire: en effet, au moment où il est engagé par un producteur, un réalisateur ou un éditeur, le musicien n’a aucune autre garantie financière que celle d’une part prélevée sur les recettes. Dès lors, toutes les possibilités sont à envisager: le triomphe ou l’échec commercial, sans oublier le risque de tout perdre si le film ne sort pas. Aujourd’hui, très peu d’éditeurs veulent encore investir dans le cinéma. Les fastes sont révolus. La diminution de la fréquentation des salles et le lent mouvement en retour des recettes ont rendu impossible tout plan de financement. Engager plus de cinquante mille francs dans la musique d’un film implique en retour une très bonne fréquentation qui situerait le film dans les cinquante meilleures recettes de l’année. À ce jeu de loterie, beaucoup d’enthousiasmes sincères se sont effrités.

Nous sommes entrés, de fait, dans une situation transitoire. Les éditeurs désertent et les producteurs ne se sont pas encore fait à l’idée que la musique leur incombe sur le plan du financement. La solution qui se dessine est un pur compromis, les producteurs devenant les éditeurs des musiques de leurs films.

Mais l’important, ici, est de faire l’inventaire des risques encourus par les compositeurs. Le musicien n’a aucune certitude quant à ses revenus. Un travail très élaboré peut déboucher sur un film qui ne sera pas distribué. Il est d’ailleurs symptomatique de noter que les films dotés d’un moindre potentiel commercial impliquent plus de travail pour le compositeur.

Le compositeur se trouve en porte à faux avec l’ambition de son discours; il en prend conscience au moment aigu de la confrontation avec le réalisateur. Ce dernier avance des exigences ou, au contraire, se désintéresse du propos. Cet obstacle considéré comme franchi, dans un sens ou dans un autre, il faut chercher un éditeur, celui qui pourra le mieux servir le projet musical.

Au moment même où il envisage son travail et la formation musicale qu’il faudra pour l’exécuter, le compositeur devra déjà négocier avec ceux qui financent. Le plus souvent, on demande au musicien de rester en dehors de la norme. On exige de lui qu’il donne le maximum de ses qualités, sans prendre en considération les contraintes qu’on lui impose sur le plan économique.

Telle est la contradiction principale d’un art aussi riche de ses réussites qu’affecté par les ambiguïtés de la création cinématographique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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